Le Bhoutan et le bonheur national brut
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Le Bhoutan et le bonheur national brut
Le Bhoutan est un tout petit pays (avec ses 47 000 km² sa taille est comparable à celle de la Suisse) enclavé entre les 2 géants que sont l’Inde et la Chine, au coeur de l’Himalaya. Ses 700 000 habitants font des envieux puisque dans le monde entier, le Bhoutan est connu pour être le pays du Bonheur…
L’histoire du Royaume du Bhoutan est bien singulière. Ce pays jamais colonisé vit coupé du reste du monde. Ce n’est qu’en 1961 que le pays du Dragon Tonnerre construit sa première route. La télévision et Internet y ont été interdits jusqu’en 1999 : cette restriction visait à empêcher la dilution de la culture.
Autre fait particulièrement notable, le Bhoutan est un pays devenu démocratique par la royauté : en 2005, le 4ème roi de la dynastie Wangchuk en personne annonce que la monarchie absolue a fait son temps. Il abdiquera en faveur de son fils et annoncera des élections à venir en 2008. Chose qui parait plus qu’étrange voire inconcevable avec nos yeux d’occidentaux, la démocratie n’a pas été bien accueillie par le peuple qui craignait ce changement, voyant en lui un risque de perdre leurs acquis.
Encore aujourd’hui, la capitale Timphou ne ressemble en rien aux autres capitales du monde : pas de buildings, pas de panneaux publicitaires, pas de Mac Do, pas de stade accueillant des milliers de supporters en furie et pas un seul feu rouge. Dans les entreprises, on ne prône pas le Friday wear mais c’est le vêtement traditionnel qui est de rigueur !
P
Le Bhoutan a ouvert ses portes aux premiers touristes il y a à peine 40 ans, en 1974. D’ailleurs, la politique touristique est encore un trait qui distingue particulièrement le pays. Là-bas en effet, on se protège du tourisme de masse. Pour ce faire, les autorités ont instauré un quota de touristes : seuls 100 000 touristes par an ont droit à leur part de bonheur ! Un bonheur qui n’est d’ailleurs pas donné puisque chaque touriste doit obligatoirement dépenser en moyenne 250 dollars par jour. Il s’y engage et doit même régler cette somme d’avance. C’est le Gouvernement Royal qui fixe les tarifs concernant l’hébergement, le transport, le guide et les repas. Tous les étrangers voyageant au Bhoutan doivent passer par une agence proposant des circuits organisés.
Le pays inventeur du BNB, le Bonheur National Brut
Ainsi, au Bhoutan, on a décrété que le bien-être spirituel et émotionnel devait être la priorité. D’ailleurs, pas une journée d’école ne commence sans la séance de méditation matinale. Le 4ème roi de la dynastie Wangchuk invente dans les années 1970 cette formule qui fait la réputation du Bhoutan aujourd’hui : le BNB pour le Bonheur National Brut. Après avoir observé les autres pays, Jigme Singye Wangchuck se rend compte que ce ne sont ni la prospérité, ni le développement économique qui apportent la joie aux peuples. Pour lui, le développement doit se faire autrement. Il instaure alors une nouvelle priorité : développer le pays en visant d’abord le bonheur des citoyens. Autrement dit, le bonheur objectif est considéré comme le développement le plus ultime.
Mais justement, comment parler d’objectivité quand il s’agit du bonheur ?
Car le bonheur, s’il représente quelque chose que tout le monde recherche, quels que soient sa culture ou son cadre de vie, est une valeur des plus subjectives. La réponse, c’est le Centre d’études bhoutanaises qui tente de la donner en expliquant que le bonheur est certes une expérience individuelle mais qui est générée collectivement.
4 piliers définissent le Bonheur National Brut :
-La bonne gouvernance
-Un développement économique durable
-La protection de l’environnement
-La préservation de la culture
Pour calculer ce BNB, 33 grands indicateurs sont regroupés en 9 domaines avec parmi eux la santé psychologique, la vitalité communautaire ou l’utilisation de son temps (en effet, la façon dont on gère les 24h d’une journée – temps de travail, temps de détente et repos, temps avec ses proches, etc. – peut influencer considérablement sa perception du bonheur).En somme, ce sont les autorités politiques qui fournissent les ingrédients du bonheur. Autre instance qui gère le BNB, le Centre du bonheur national brut qui lui se charge de faire adhérer les populations au Bonheur National Brut qui peut être vu comme une philosophie réservée à une certaine élite, loin de la réalité concrète. Il se donne pour objectif, à défaut de donner les clés du bonheur, d’au moins exposer les moyens de mettre en oeuvre ce Bonheur National Brut dans leur vie quotidienne.
La place prépondérante de l’écologie
Le Bhoutan compte devenir le 1er pays au monde à vivre d’une agriculture 100% bio. En outre, la constitution bhoutanaise stipule clairement que 60% du Royaume doivent rester «boisés pour l’éternité ». La moitié du pays est préservée grâce à la présence de parcs nationaux dans lesquels vivent les populations. L’un d’eux est même consacré à la protection… du Yéti ! Sakteng Wildlife Sanctuary est en effet un endroit entièrement dédié à la protection de l’habitat de « l’abominable homme des neiges », créature à laquelle les Bhoutanais croient fermement.
>Autre mesure écologique : la journée hebdomadaire des piétons. Dans la capitale, la journée sans voiture est instaurée chaque mardi. Seuls les transports collectifs ou les véhicules d’urgence ont le droit de circuler. La journée sans voiture vise à bien sûr, réduire la pollution, mais elle se veut aussi un encouragement à faire un peu d’exercice.
Le Bonheur National Brut se révèle donc le moyen de parvenir à se développer sans perdre son âme, en préservant la culture du pays, sa religion et un environnement fragile. Une Commission spécialement dédiée au BNB a même été créée en 2008. Celle-ci veille à ce que chaque décision ou programme prévu par le Gouvernement soit favorable au BNB. C’est la Commission qui a par exemple pris la décision de ne pas adhérer à l’OMC ou de refuser le développement de l’exploitation minière. Très peu pris au sérieux à ses débuts, le BNB suscite aujourd’hui l’attention du monde entier. L’ONU a même décrété en 2012 la journée du 20 mars, comme journée internationale du bonheur. Ainsi, la protection de la culture et de l’environnement priment sur la richesse matérielle : le BNB est plus important que le PNB.
Pour autant, le Bhoutan est-il vraiment l’endroit où on est le plus heureux au monde ? Que se cache-t-il derrière la formule Happiness is a place ?
Revenons un peu à l’histoire du Bhoutan. Le pays aurait été créé au XVIIe siècle sous le moine Shabdrung Ngawang Namgyal. Mais depuis l’unification du pays en 1907, c’est la dynastie Wangchuck qui gouverne. Avant cette date, les gouverneurs de districts, les Penlops, étaient très autonomes. La famille Wangchuck ne gouvernait que sur le district central du pays, celui de Trongsa. Cinq rois (portant le titre de Druk Gyalpo, roi-dragon) de la dynastie Wangchuck se sont ainsi succédé sur le trône.
L’histoire du Bhoutan est aussi celle des ethnies qui le peuplent : on dénombre 25 groupes ethniques au pays du Bonheur. La présence de celle des Lhotsampa remonte à la fin du XIXe siècle. A cette époque, le Bhoutan a fait appel à de la main d’oeuvre népalaise pour défricher les régions du sud du pays. Ce sont donc des agriculteurs Népalais qui sont venus s’installer sur les terres inhospitalières de la région. Trois ou quatre générations s’y sont succédé, qui ont tenté de conserver une part de leur culture népalaise, notamment à travers la langue et leur religion, l’hindouisme. Primordial et difficile dans un pays dont les ¾ des habitants sont bouddhistes. Le bouddhisme vajrayāna est d’ailleurs religion d’Etat.
Les Lhotsampa (c’est-à-dire les « habitants du sud ») obtiennent officiellement le statut de citoyen en 1958. Ils cohabitent avec une autre ethnie, les Bhotia, qui domine le pays, en nombre et surtout politiquement. C’est une cohabitation sans heurts jusqu’à l’adoption de la loi sur la nationalité en 1985 qui choisit d’autres critères pour classifier la population. Ainsi, suite à une série de recensements, des habitants se sont tout bonnement vus destituer de leur statut de citoyen.
Des citoyens sont devenus des non-citoyens, du jour au lendemain.
En outre, la langue officielle des Botia, le dzongkha, est devenue langue nationale. Seule la religion bouddhiste est autorisée, interdisant toute cérémonie hindoue en public. Tout ce qui caractérisait les Lhotsampa est devenu illégal : les livres népalais ont été brûlés, et les écoles lhotsampa ont été fermées, ainsi que les temples hindous. Seul driglam namzha, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs et des traditions ancestrales des Bhotia est autorisé.
Face à cette dictature, entre 85 et 100 000 Bhoutanais d’origine népalaise ont dû s’exiler au début des années 1990. Impossible pour eux de revenir sur la terre de leurs ancêtres au Népal : ils ont dû trouver refuge au sein des 7 pays qui ont accepté d’être terre d’accueil : les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada.
Ces apatrides sont devenus des réfugiés, actuellement résidents permanents après avoir passé près de vingt ans dans des camps sous l’égide du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies…Alors non, définitivement, le Bhoutan n’est pas le pays du bonheur pour tout le monde…
La crise économique enterre le Bonheur National Brut
En juillet dernier, les élections parlementaires ont marqué un tournant dans l’histoire du Bhoutan.
Le Parti démocratique du peuple (PDP) a remporté 32 sièges contre 15 au parti monarchiste, le DPT au pouvoir est toujours très proche de la dynastie Wangchuk. La raison est économique : l’Inde qui investit beaucoup au Bhoutan et qui importe ses produits a décidé de suspendre toute aide financière, voyant d’un très mauvais oeil les relations qu’entretient le Bhoutan avec le grand rival chinois.
New Delhi a donc stoppé toutes les subventions sur le gaz domestique et l’essence, ce qui a eu pour effet immédiat de faire flamber les prix et d’aggraver les difficultés économiques du Bhoutan. Aggraver car en 2012, le pays essuyait déjà une crise du crédit.
Derrière la façade du BNB se cache donc une toute autre réalité : consommation de drogue et d’alcool, effritement du tissu social traditionnel. La jeunesse ne croit plus en cet indice du bonheur et l’a clairement fait savoir en confiant le pouvoir au parti démocratique.
Re: Le Bhoutan et le bonheur national brut
Merci Kiwi pour cet article vraiment intéressant ! Et qui donne matière à réflexion...
Bonne soirée !
Bonne soirée !
yuukidol- Messages : 14
Age : 61
Localisation : Lorraine
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